Dans le village aux mirabelles (voir billet précédent), dans ce petit hameau où j'ai passé tant de semaines heureuses de vacances d’enfance, hier, le premier août, à 4 heures de l'après-midi, les cloches ont sonné.
Comme partout ailleurs en France, il y a cent ans, les dernières heures de paix s'achevèrent en douloureux tocsin. Dans les champs, au pied de la colline, tandis que hommes, femmes, enfants et chevaux travaillaient sous le chaud soleil d'été, le son lugubre des cloches interrompit les gestes augustes des moissonneurs et serra le cœur des travailleurs.
Le lendemain, aujourd'hui, 2 août, la grande affiche placardée sur les murs des mairies ou ailleurs a brisé la vie de milliers d'hommes, de leur famille, de leur village, de leur pays. Tous l'ont vue. Tous l'ont lue.
Alors, de retour à la maison, en tremblant, on a ouvert le tiroir de la grande armoire lorraine de la chambre à coucher, celui du buffet à crédence de la salle à manger, celui de la haute table de chevet, celui de la table de la cuisine et on en a sorti le livret militaire et le terrible fascicule de mobilisation.
Les "gamins" de l'armée active, tout fiers d'être des classes 1913, 1912 ou 1911 et de jouer aux petits soldats dans leurs casernes étaient déjà en uniforme et paraît-il avaient déjà la fleur au fusil... Jeune et belle chair à canon...
Pour les autres, les hommes des classes 1910 à 1900, les réservistes de l'armée d'active qui commençaient leur vie de famille, ils laissèrent souvent sur le quai de la gare une fiancée en pleurs, une épouse effondrée et une ou deux têtes blondes aux joues rondes mouillées de larmes. Il y eut sans doute moins d'enthousiasme à partir pour ces hommes, surtout que dans les campagnes, les champs étaient couverts de gerbes et que le blé était à battre...
Partirent aussi les 35-41, les anciens des classes 1893-1899, les Territoriaux surnommés les Pépères... Pour eux, bien installés dans leur vie d'hommes civils, le service militaire était bien loin. On ne devait pas les envoyer en rase campagne pour les combats mais seulement pour assurer des services de garde et de police militaire. Enfin, c'est ce qui était prévu mais pour combler les pertes des premières batailles, les moins vieux des Vieux, les moins pépères se retrouvèrent très vite au front, sans intense préparation ni "stage de reformation"... Sont-ils vraiment partis à la guerre en chantant ?
Et les vieux vieux Pépères, les réservistes de l'armée territoriale ? Nés entre 1867 et 1872, ils avaient vécu l'annexion de l'Est en 1871. Se retrouver mobilisés en 1914, même sans pouvoir porter un bel uniforme aux normes, fut peut-être pour certains d'entre eux la belle occasion de venger la France, de faire mordre la poussière à ceux d'outre-Rhin... Mais ont-ils vraiment chanté en partant à la guerre ?
Et que dire de tous ces hommes déracinés, ces soldats des troupes coloniales, qui quittèrent leur terre natale pour venir mourir sur notre terre sans même pouvoir porter les couleurs de leur propre pays... Tant d'autres choses me choquent quant au sort réservé à ces courageux hommes durant ce conflit...
Dans le petit village, sous ma colline, Albert, Lucien et Maurice, fils de Théophile et petits-fils de Nestor, comme tant d'autres, entendirent les cloches tandis qu'ils moissonnaient...
L'aîné partit dès la mobilisation et ne revint jamais.
Le cadet partit plus tard et revint blessé corps et âme.
Le benjamin ne partit pas mais fut meurtri à jamais.
CP trouvées sur le net ou personnelles
Très beau billet.
RépondreSupprimerPartis en chantant avant de déchanter ...
Et dire que ça continue, ailleurs. La braise mortifère ne refroidit jamais, même arrosée par le sang des pauvres gens.
Depuis le temps que je "raconte" les guerres à mes élèves, j'ai toujours le même sentiment quand je vois et quand j'entends leurs réactions: quel dommage que la perception du monde que l'on a à l'école élémentaire, cette perception humaine, évidente et simple, se complique quand on grandit et nous rend inhumain ?
SupprimerSourire attristé d'Ep'
Très émouvant ! Le journal local d'aujourd'hui reproduit l'affiche de la mobilisation générale ainsi que des photos d'alors, personne n'a l'air heureux. Et je me demandais quel effet cela pouvait faire d'entendre le tocsin, lire l'affiche, rentrer chez soi chercher son livret militaire, le reste on connait...
RépondreSupprimerMerci beaucoup, Françoise !
SupprimerSouhaitons ne jamais avoir à vivre ces instants d'angoisse et de séparation et que les générations futures connaissent, à défaut d'une paix mondiale (certains semblent déterminés à tout faire pour la briser!), la paix en Europe.
Belle journée d'été paisible.
Sourire d'Ep'
Qelle connerie la guerre, Barbara !
RépondreSupprimerUn billet qui revêt une triste et aiguë actualité...quand les hommes se décideront-ils à devenir adultes?
Bisous émerveillés par ton savoir historique et ton savoir-faire de chroniqueuse.
:-)
Depuis toujours, ce qui me révolte le plus, dans toute guerre, c'est que la mort de milliers, voire de millions d'hommes, est la conséquence d'un simple coup de colère d'un seul pauvre type, d'une grosse envie de conquête d'un gugusse "couronné" ou d'un fanatisme religieux ou politique d'un triste sire. D'autres imbéciles suivent et c'est la guerre.
SupprimerJ'ai souvent entendu dire que "si on avait su" que les camps de concentration existaient par les médias du moment, on aurait agi... Tu parles! On sait tout ce qui se passe sur la planète à l'instant même où ça se passe grâce aux moyens modernes de communication et le sang d'innocents coule toujours.
Pas de quoi être fière de mon "savoir" historique: c'est juste une passion. Et à défaut d'être croqueuse de diamants, je suis chroniqueuse de billets... Merci tout plein quand même...
Bises d'Ep'
Faites cet effort : quand vous passerez dans un village du style "Boue sur Vase" oui "Bergagnon sur Serpentine" Accueillis par deux poules et trois cochons, arrêtez vous et jetez un coup d'œil sur le monument aux morts.. Dans le plus petit bled ainsi rencontré, vous serez "soufflés" par le nombre impressionnant de morts pour la patrie ! Des familles entières, depuis Auguste jusqu'à Eugène en passant par Albert et Joseph.
RépondreSupprimerEt c'est là qu'on peut se rendre compte du carnage... Avez-vous regardé "Apocalypse" ?
Je le fais depuis longtemps cet effort et j'ai hâte de traverser le bourg de "Boue sur Vase" et de découvrir "Bergagnon sur Serpentine" et d'y admirer leur monument ;o)
SupprimerLe drame avec ces monuments c'est que comme certains trouvaient qu'après les dates 1914-1918, il n'y avait pas assez de noms d'enfants de la patrie, morts pour la France, on a refait d'autres guerres...
J'aime ton commentaire, Andiamo.
Bises d'Ep'
Beau et douloureux billet que celui-ci !
RépondreSupprimerSi seulement tous ces pauvres soldats, jeunes et moins jeunes , morts pour la France, avaient servi de leçon afin que semblable horreur ne se reproduise pas ! Hélas il n'en n'a rien été puisque dans de nombreuses familles le tocsin a encore serré les cœurs et nouer les estomacs en pensant à la suite à venir. Les guerres sont des plaies inguérissables car si la mort n'est pas passée par là, les stigmates de ceux qui en ont souffert seront gardées à jamais. Pauvre planète que notre terre qui en bien des endroits, voit encore à notre époque les pauvres malheureux ,tomber pour ne pas se relever. D'énormes pensées pour tous ceux qui souffrent et merci Ep' pour nous rappeler avec brio ces moments difficiles de notre histoire.
BIZZZ de DOUCY.
Dans mon arbre généalogique,on voit que mes arrière-grands parents naquirent peu après la guerre de 1870, mes grands-parents en 1913 et mes parents au début de la seconde guerre mondiale. Trois générations touchées par la guerre, meurtries par la peur, les privations, les absences, la violence...
SupprimerQue ma génération, celle de ma fille, celle de mon petit-fils et les suivantes soient à jamais épargnées. Hélas, ces mêmes générations, ailleurs sur la planète, n'ont pas cette chance ! Je suis révoltée mais hélas, impuissante...
Bises d'Ep'
Eh oui Ep' il y a cent ans... Mobilisation générale... quatre années de misère qui se préparent, le sang neuf part en sifflant les autres............ ! Merci, bises, jill
RépondreSupprimerEn me replongeant dans mes archives sur cette guerre, je suis comme toujours, atterrée par les atrocités perpétrées durant ce conflit et par les abominables souffrances endurées par tous ces hommes au front, quelque soit la couleur de leur uniforme...
SupprimerBises d'Ep'
Merci Epamine pour cette petite histoire dans la terrible.
RépondreSupprimerCette année je pars en vacances "en 1914", encore le temps au moins de rédiger 3 articles bientôt programmés dont le cadre est en grande partie celui que tu décris depuis 2 parution. Je rentre d'y passer quelques jours. Ici, à Rozelieures et villages voisins de la "trouée de Charmes" se sont rejointes en août 1914 la 1ère et la 2ème armée française (soit 266 458 hommes et 92 016 chevaux pour la 1ère, 324 165 hommes et 110 062 chevaux pour la 2ème), mais il y en avait aussi autant "de l'autre camp". Sachant également qu'il avait déjà dû passer pas mal de soldats en 1870 et qu'il en repassera en 1939-1944, ce sont là sans conteste les régions françaises aux sols rouges de grès et de garance, aux habitants rouges de colère et de honte les plus éprouvés...
Les départements lorrains ont en effet particulièrement souffert au fil des siècles et notre sol recèle encore hélas, tant de restes d'armes, de maisons, d'objets quotidiens, de chevaux et ...d'humains.
SupprimerLa bataille de Rozelieures fut vraiment terrible et comme dans de nombreux autres villages lorrains, les tombes parsemaient les champs avant que l'on ne crée les cimetières militaires.
J'aime la belle sobriété du monument de marbre noir qui évoque la bataille.
Bravo pour ta belle phrase rouge sang...
Sourire d'Ep'
Bravo pour ta très belle "exploitation" de cette stèle monumentale dans ton billet magnifique. Au nom de tous les Lorrains passés, présents et futurs, merci !
SupprimerBises d'Ep'
Ep ' tu as si bien raconté qu'on a l'impression que tu y étais .Ta région a été sévèrement touchée .Ils n'ont pas du partir vraiment en chantant , mais d'après mon grand -père tous pensaient que ça ne durerait pas longtemps .
RépondreSupprimerMerci Ep' pour cet émouvant billet .On m'en a parlé des tirailleurs sénégalais
C'est impressionnant , le nombre de morts dans chaque village !
Bon après -midi et bises bourbonnaises
Merci Nicole, mais comme tu le dis, je n'y étais pas: j'ai eu cette chance.
SupprimerJe ne sais pourquoi (je me pose et on me pose souvent la question) cette période de notre histoire me bouleverse encore plus que les autres et j'aime à poser mes pas dans ceux qui m'ont précédée. La seule différence c'est que mes pas se posent en paix...
Bises d'Ep'
Moi aussi , c'est la guerre de 1914 -1918 qui me bouleverse le plus .C'est vrai qu'une de mes grand'mère , mariée en 1912 a eu un fils en 1913 et que son mari a été tué à la guerre .Et bien , en 1920 , elle épousait le frère de son premier mari qui devint mon grand -père .
SupprimerJe crois que c'est le nombre de morts des villages qui nous impressionne .
J'ai visité Verdun, il y a deux ans .
C'est vrai que les élèves sont horrifiés par les guerres et donc il ne devrait plus y en avoir .
Bises de Nicole
Tout est douloureux dans cette guerre mais je crois que si me révolte le plus, c'est l'absence de reconnaissance officielle de tant de Poilus de tous poils et le peu de récipiendaires de cette Légion d'Honneur si méritée par tant de Poilus de toutes couleurs et jamais épinglée...
SupprimerBises d'Ep'
et j'espère que nous n'entendrons plus jamais les cloches pour un terrible départ comme celui-là tant ne sont pas revenus, d'autres sont affligés pour la vie et les femmes doivent retrousser les manches et faire le travail des hommes
RépondreSupprimerLe XXème siècle a véritablement commencé après la première guerre mondiale tant les mentalités, la société et le pays avaient changé. Pas facile de faire comme avant quand plus rien n'est comme avant!
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