mercredi 13 avril 2016

& Espèce de cladode !

Les grands voyageurs du XIXème et du début du XXème siècle, curieux de découvrir la Tunisie, ont dû faire de bien jolis croquis des paysages magnifiques qu'ils rencontrèrent au gré de leurs périples. 

Photo d'Ep', croquée par mon gentil ordi...

D'après l'illustration de François Place dans son album "Les Derniers Géants"


Dans leurs petits carnets de voyage, certains d'entre eux ont peut-être également griffonné quelques mots sur la colonisation, oups, pardon ! sur le "protectorat" français...

Selon leur orientation politique, soit ils ont évoqué avec satisfaction (voire avec délectation pour les plus fervents "protecteurs") les innombrables avantages et progrès de la colonisation et l'indiscutable supériorité de l’agriculture européenne sur le mode de vie nomade et l’agriculture indigène; soit ils ont puissamment dénoncé l'indécence de la "bien-pensante" mise en valeur européenne dans les pratiques agricoles et se sont insurgés avec véhémence contre l'inacceptable aliénation forcée des terres, des pierres, des idées, des personnes et des coutumes locales. Mais, sur ce sujet, point de cladodes !

En 1956, la Tunisie accéda à l'indépendance. La violence de la lutte n’atteignit pas l'horreur des évènements en Algérie (ou fut-elle simplement moins médiatisée ?), mais comme pour le Maroc, la quête de l'autonomie en Tunisie ne se fit ni dans la douceur ni dans le respect. Ici non plus, pas de cladode en vue !

Mais alors, me direz-vous, "cladode": qu'est-ce ?


Ce sont ces larges coussins épineux que mes yeux ébahis ont vus sur des kilomètres et des kilomètres tandis que nous traversions la plaine tunisienne : des cladodes de nopal, des cladodes de nopal et encore des cladodes de nopal,

Ce sont ces arbustes aux épines acérées que Jules César aurait pu utiliser (de l'Opuntia ficus-indica) lors du siège d'Alésia mais comme il n'en avait pas, Julius se rabattit sur d'autres méthodes défensives. Quand t'as pas de nopal, tu prends du local !

C'est sur ces grosses raquettes pleines d'épines que poussent les savoureuses "handi", les "guergueb" ou encore le "Soltane El Ghalla" (le roi des fruits)... Vous l'avez deviné : sous tous ces noms "barbares" se cache le figuier de Barbarie. 


[L'orgue de Barbarie est à la figue du même nom ce que la trompette bouchée est au cidre." (Pierre DAC, bien sûr!]

J'aurais pu intituler mon billet "Figui-haie" tant le nopal est abondamment utilisé pour délimiter les terres tunisiennes mais c'eût été moins drôle. 


Le figuier de Barbarie est en effet le végétal par excellence (ce n'est pas le roi des fruits pour rien!) : barrière défensive ET barrière coupe-feu, il pousse dans les zones arides. 
Son fruit est délicieux et rempli de trucs très chouettes pour la santé et pour la beauté : vitamine C, minéraux, oligo-éléments, grande teneur en fibres, faible apport calorique, et tout, et tout...
Et même les animaux peuvent manger ses cladodes... Les raquettes sèches servent de fourrage.

Et je dirais même plus : le figuier est également un monument chargé de l'histoire de la Tunisie...
Ici ou là, des champs de figuiers laissés à l'abandon cachent à peine les ruines d'anciennes fermes coloniales... Les vestiges oubliés du travail et de la souffrance des hommes.
Ailleurs, protégés par de belles haies de figuiers bien entretenues, les douars racontent un joli pan de l'histoire de la Tunisie... et là, le cœur du voyageur est réjoui.

Et si, par hasard,  vous ne trouviez pas la panoplie complète du joueur de tennis chez votre fournisseur habituel de matériel de sport, plantez un arbre à cladodes dans votre jardin: vous aurez à volonté raquettes et balles colorées ! ;)

PS: Pensez à prendre des gants avant d'entrer sur le cours: le nopal, c'est l'inverse du petit pois!

Et comment parler de figues sans citer Paul Dullac, notre Escartefigue national... Peuchère!





dimanche 10 avril 2016

& La belle prim(e)


La première fois que je l'aperçus, elle était là, toute seule, face à ce beau soleil qui enflammait le ciel. Je trouvai l'image poétique car la belle, à défaut d’être violette, avait pris une délicate teinte orangée et sa silhouette ainsi colorée donnait au paysage une profondeur inattendue.

La seconde fois que je la vis, la semaine suivante, à peu près à la même heure, elle était exactement au même endroit. Immobile, elle admirait le soleil couchant du haut de son promontoire et semblait plongée dans ses vertes pensées. Je souris.

La troisième fois (promis, c'est la vérité!), l'horizon n'était pas rougeoyant mais plutôt gris perle et pourtant, ma prim' était là ! Face à l'ouest du couchant, elle scrutait la plaine environnante du haut de son observatoire et ne détourna pas plus son regard vers moi que les deux fois précédentes. Je re-souris...

La quatrième fois (oui, il y eut une quatrième fois!), je me surpris, en approchant du virage de notre rendez-vous, à me demander si elle serait là... et elle était là ! Ses comparses étaient éparpillées dans la prairie mais elle, l'héroïne de l'instant, telle une gardienne du temple (on ne peut pas dire "vestale" pour une vache laitière... sauf si c'est une génisse !), observait sans relâche la ligne d'horizon...

Semaine après semaine, je n'ai plus compté nos rencontres fortuites mais j'ai souri à chaque rendez-vous non manqué. 
Et je suis ravie que la laitière connaisse le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie, la pluie qui ruisselle et le parfum des mirabelles. Tant d'autres n'auront jamais cette chance!

Je me suis dit qu'un jour, il faudrait que j'écrive un billet sur la vache sur sa collinette. Voilà, c'est fait , mais je suis fort marrie de ne point connaître le prénom de ma belle Prim'...


La même (ou une lointaine cousine!), si joliment racontée par Jules Renard, un de mes maîtres à regarder, à penser et à écrire !

"Las de chercher, on a fini par ne pas lui donner de nom. Elle s’appelle simplement « la vache » et c’est le nom qui lui va le mieux.
D’ailleurs, qu’importe, pourvu qu’elle mange !
Or, l’herbe fraîche, le foin sec, les légumes, le grain et même le pain et le sel, elle a tout à discrétion, et elle mange de tout, tout le temps, deux fois, puisqu’elle rumine.
Dès qu’elle m’a vu, elle accourt d’un petit pas léger, en sabots fendus, la peau bien tirée sur ses pattes comme un bas blanc, elle arrive certaine que j’apporte quelque chose qui se mange. Et l’admirant chaque fois, je ne peux que lui dire : « Tiens, mange ! » Mais de ce qu’elle absorbe elle fait du lait et non de la graisse. À heure fixe, elle offre son pis plein et carré.
Elle ne retient pas le lait, – il y a des vaches qui le retiennent, – généreusement, par ses quatre trayons élastiques, à peine pressés, elle vide sa fontaine. Elle ne remue ni le pied, ni la queue, mais de sa langue énorme et souple, elle s’amuse à lécher le dos de la servante.
Quoiqu’elle vive seule, l’appétit l’empêche de s’ennuyer. Il est rare qu’elle beugle de regret au souvenir vague de son dernier veau. Mais elle aime les visites, accueillante avec ses cornes relevées sur le front, et ses lèvres affriandées d’où pendent un fil d’eau et un brin d’herbe.
Les hommes, qui ne craignent rien, flattent son ventre débordant ; les femmes, étonnées qu’une si grosse bête soit si douce, ne se défient plus que de ses caresses et font des rêves de bonheur.
Elle aime que je la gratte entre les cornes. Je recule un peu, parce qu’elle s’approche de plaisir, et la bonne grosse bête se laisse faire, jusqu’à ce que j’aie mis le pied dans sa bouse."

(Histoires Naturelles - 1894)

jeudi 7 avril 2016

& SeulS sur Mars

Matt Damon, dans le dernier film de Ridley Scott, se retrouve tout seul sur la planète rouge...

D'autres spationautes vécurent également une aventure extrême mais on s'est bien gardé d'en parler dans les médias......


Les deux hommes décollèrent de notre bonne vieille Terre par un beau dimanche d'avril, en début d'après-midi. Ils devaient revenir sans dommage à leur base, sur Terre, sitôt leurs différentes missions menées à bien. 
Ils avaient subi et réussi d'innombrables tests physiques, psychologiques, médicaux et techniques. Ils avaient répété des centaines de fois les mêmes gestes, relancé encore et encore les différents programmes, étape par étape. Ils avaient revérifié ligne par ligne l'ensemble des consignes de décollage, de vol, les directives compliquées pour poser leur vaisseau sur la planète rouge et les différents modes opératoires en cas de problème. Ils étaient prêts.

Munis chacun d'un équipement des plus sophistiqués, ils ont donc embarqué à bord de leur fusée sous les regards émus de leurs familles. Dans un vrombissement puissant qui fit trembler le sol de longues minutes, les moteurs de leur engin furent lancés à pleine puissance et la fusée, libérée de ses attaches terriennes, s'éleva lourdement puis monta rapidement pour n'être bientôt plus qu'un point minuscule au fin fond du ciel...




La mission dura longtemps et sur terre, l'équipe au sol attendait impatiemment le retour des deux astronautes.
C'est alors que le message suivant arriva:
"Allo, la Terre! Ici la planète Mars ! L'équipage se porte bien. Par contre, nous avons un problème technique... L'un des membres d'équipage n'a plus assez d'énergie dans ses batteries pour rejoindre la base. Il faut nous envoyer un vaisseau patrouilleur pour nous récupérer. Voici nos coordonnées : 292719 XXY et 658791 ZZK. On vous attend dans le sas en verre."


J'ai donc pris ma petite voiture. J'ai rejoint le point de rendez-vous (l'abri bus du village voisin!) où j'ai retrouvé un adorable papy sous son bonnet orange qui agitait lentement un immense phragmite (roseau sans doute cueilli au bord d'un marais martien!) et un non moins adorable petit cosmonaute tout encapuchonné qui m'a accueillie en me disant avec un grand sourire: 
"Désolé, mamie mais je n'ai plus assez d’énergie ! Papy n'en a presque plus non plus. On a fait un immense voyage intergalactique et il ne me reste que 1 % dans mes batteries. Comme c'est l'heure du goûter, on va rentrer et je vais me refaire de l'énergie !"

A la maison, après avoir rechargé leurs batteries, les deux spécialistes de l'univers sont repartis pour une expédition intra muros mais cette fois-ci dans une forêt enchantée pleine de dragons cracheurs de feu et d'animaux imaginaires à chasser...

Une belle idée du bonheur, pas vrai ?...


Splendides œuvres de Su Blackwell






lundi 4 avril 2016

& En souvenir des guerres napoléoniennes



Avec mes CM2, en histoire, nous avons clos dernièrement le chapitre du Petit Caporal.
Napoléon Bonaparte, soldat révolutionnaire devenu général puis Premier Consul avant de prendre le titre de premier empereur des Français en 1804, avait l'âme conquérante (peut-être un peu trop, voire démesurément trop...).

A l'image de Charlemagne, empereur d'Occident en 800, Napoléon voulait étendre son territoire encore et encore... Il voulut même conquérir la lointaine Russie et soumettre ses pires ennemis, les Anglais.

Sauf qu'en 1815, c'est Messire Napo qui prit la pâtée à Waterloo. Dernier jour de ses malheureux Cent-Jours et clôture définitive de ses velléités impériales.

Et l'ennemi débarqua, accosta, s'installa et ne décampa qu'en 1820...

Et c'était qui l'ennemi?

Wellington ! The British ! Les Anglais ! Les rouges !

Et c'est là, Messieurs, qu'en dépit du postulat belliqueux et masculin annoncé par le titre de ce billet, j'informe mes chers lecteurs que cette publication concerne en priorité, les femmes, les sœurs, les mères, les filles, les aïeules, les amies...

Pour certaines d'entre nous, cela se passa une nuit; pour d'autres, un matin; pour d'autres encore, à la pause méridienne ou en plein après-midi, mais cela survint, inopinément!
D'aucunes attendaient l'instant avec impatience, pressées de vivre l'expérience; d'autres, par contre, le redoutaient, l’appréhendaient : on leur avait raconté tellement de détails pas vraiment enthousiasmants!
Les moins chanceuses vécurent l'instant dans une totale incompréhension, pétrifiées par l'angoisse, voire par la terreur: laissées dans l'ignorance la plus absolue sur l'évènement, elles crurent vivre là leurs derniers instants...

Mais de quoi s'agit-il ?
Du débarquement des Anglais, pour sûr !

J'ignore si les damoiselles d'aujourd'hui utilisent encore cette expression environ tous les vingt-huit jours mais nombreuses furent les générations qui usèrent et abusèrent de la métaphore...
Et c'est en préparant ma leçon sur notre célèbre Corse que j'ai découvert que cela ne datait pas du débarquement de 1944 mais bien de celui de 1815.
Dans la langue verte et imagée des quartiers populaires de Paris du XIXème siècle, on assimila aisément l'arrivée des uniformes rouges des ennemis anglais à l'arrivée régulière et ô combien pénible des non moins célèbres "ragnagnas"...

Vous vous sentez mieux, hein, les filles ?

Bises à toutes et prenez soin de vous!


PS1: Une bise également aux messieurs qui passent par là ! ;)
PS2: Je débarque après de longues semaines de silence... mais je ne suis pas anglaise!

dimanche 3 janvier 2016

& Il nous donnait la pêche

Quand il était chanteur, il disait que Marianne était jolie... C'est grâce à lui que j'ai compris l'histoire de cette belle dame !

Quand il était chanteur, il allait chez Laurette... L'amitié mise en mots !

Quand il était chanteur, sa famille habitait dans le Loir et Cher. En plus, c'est vrai ! Il a offert aux gens des campagnes, si chers à mon cœur,  une place d'honneur.

Quand il était chanteur, il a mis les points sur les i du mot "hippie" et de l'île de Wight avant le mythique festival de Woodstock, n'en déplaise aux conformistes.

Quand il était chanteur, il a divorcé. Avec sa poésie des mots, il a posé un doux baume sur les séparations.

Quand il était chanteur, était-il chasseur ? Qu'importe ! Il a si bien chanté l'aube, les marais, les chiens fidèles, le vol des oiseaux que ses paroles glissent comme les pinceaux du peintre sur la toile.

Quand il était chanteur, il a joliment dit la vie, l'amour, la joie, la peine, l'amitié, la mort, toujours avec délicatesse et pudeur, en vrai chanteur de charme qu'il était.

Quand il était chanteur, il a enchanté mon enfance...
Avec Sœurette et mes parents, nous avons parcouru des kilomètres en entonnant ses chansons dans notre petite voiture.
Avec Sœurette et mes parents, nous avons savouré les tartines du dimanche matin tandis que tournoyait "Pour un flirt" sur le tourne-disque.
Avec Sœurette et mes parents, aujourd'hui, nous sommes un peu tristes : un des artistes de notre histoire familiale s'en est allé.

C'est qu'il nous donnait la pêche, Michel Delpech !

Au revoir Monsieur, et merci... 
Poursuivez paisiblement la suite de votre chemin... ailleurs !







samedi 2 janvier 2016

& Cathoune abbaye

"Downton Abbey"
2010 vit la première saison de cette série télévisée.
En 2015, il nous fut servi la sixième saison.
Il y a ceux qui aiment.
Il y a ceux qui n'aiment pas.
Il y a ceux qui ne connaissent même pas.
Personnellement, j'ai vu quelques épisodes. Cela se regarde plaisamment.

"Cathoune Abbaye"
2015 vit sa création avant la saison d'hiver.
En 2015, il nous fut offert le seul et unique épisode réalisé.
Il y a deux personnes qui ont suivi ce superbe morceau d'anthologie.
Il y a deux personnes qui aiment ce qu'ils ont vu et surtout entendu.
Il y a vous qui ne connaissez pas.
Mais je vais vous raconter...

Novembre 2015...
Un site d'exception tant par son histoire que par la beauté de son architecture et de sa restauration : l'abbaye de Fontenay en Bourgogne.

En famille, nous marchons dans la nef magnifique de l'église abbatiale, sur les pas de Saint-Bernard (le moine cistercien, pas le chien!). Le soleil d'automne traverse les vitraux et éclaire d'une douce lumière le somptueux édifice. Un beau moment partagé.


A droite du transept, quelques vieilles marches à gravir et nous nous retrouvons dans le dortoir. Un autre moment vécu en famille.
Plus bas, le cloître. Bel espace qui entend nos rires.

Quelques pas plus avant, dans la salle capitulaire, je reste seule avec Soeurette.
 

aAaAaAaAaAh! Houhou! HOHOHO!
Telles deux gamines, nous nous amusons à tester l’acoustique de cet espace aux murs façonnés de silence et de mots, de savoir et de spiritualité.
Et là, dans un élan d'affection et d'admiration, je demande à Soeurette de chanter, ici, dans cette salle qui résonne.
Elle ne se fait guère prier.
De sa voix pure et claire, cristalline et presque enfantine, elle entonne un chant liturgique orthodoxe qu'elle a appris lorsqu'elle étudiait le russe à l'université et qu'elle faisait partie d'une chorale slave. 

Cela ne dura que quelques minutes.
Discrètement, par curiosité, M. Ep' était revenu sur ses pas.
Lui et moi avons vécu un moment d'exception en écoutant chanter Soeurette a capella.
Dans sa voix, il y avait tant de choses.
Dans mes yeux, sa voix a glissé des paillettes; dans mon cœur, le bonheur et partout, des frissons !

Et c'était bien mieux que "Downton Abbey"...

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