Il était content le joli marmot de la grande ville!
Pour la première fois de sa courte vie, il voyait des vaches, des poules, des
canards...
Dans le petit bagage qui l'accompagnait, se trouvaient:
·
deux langes
de laine
·
deux langes
piqués
·
six couches
neuves
·
quatre
béguins en calicot
·
quatre
fichus
·
quatre
chemises
·
deux bonnets
d'indienne
·
deux
brassières d’indienne
·
une robe
·
deux paires
de bas de laine
·
une
couverture.
Eh oui, ma brav' dam', en ce
dix-neuvième siècle, même les p'tits gars portaient des robes et on n'en
faisait pas tout un fromage... (Oups, pardon, je m'éloigne de mon sujet...)
Donc, disais-je, le gamin, sa petite menotte dans la main d'une jolie dame,
arrivait dans ce petit village du Morvan sous la douce lumière d'un matin
d'avril.
Depuis quelques semaines, il avait remarqué que sa vie
était un peu chamboulée mais à part les larmes de sa mère qu'il n'avait pas
comprises, tout lui semblait plutôt amusant: des dizaines de copains pour
jouer, des repas réguliers et abondants, les fesses propres et des couches
sèches, un long voyage avec une gentille dame et aujourd'hui, des vacances dans
une ferme. La vie était plutôt belle!
Pourquoi des vacances dans le Morvan, me direz-vous,
alors que l'enfant n’avait dans ce joli coin de France, aucune vieille tante,
aucun aïeul, aucun ami de la famille?
C'est que par ici, depuis les
dames gauloises qui lavaient leurs seins dans l'eau de la fontaine de Bibracte
pour avoir un lait abondant et nourrissant, les Morvandelles "ont de
belles mamelles" ainsi que l'écrivait Jacques Guillemeau, chirurgien d’Henri IV, et sont donc d'excellentes nourrices.
Et là-haut, dans la grande ville
remplie des progrès et des misères du dix-neuvième siècle, ça se sait!
Les aristocrates du premier étage et les riches bourgeois du
deuxième font venir du vert Morvan des "nourrices sur lieu" qu'ils affublent
d'une énorme couronne de rubans plus ou moins seyante mais qu'ils payent
correctement.
Les moins riches du troisième expédient leurs rejetons chez des
"nourrices sur place" pour des raisons diverses et variées.
Et tous les gamins de l'Assistance Publique, les
trouvés, les abandonnés, les placés, ceux qu'on appelle "les Petits Paris",
arrivent, souvent dans un état pitoyable, dans ce pays de haies vives et de coteaux aux pentes douces et meurent au bout de quelques jours ou de quelques semaines, malgré les soins prodigués. On les accueille, moyennant salaire et contrôle, au sein de familles où, en général, ils vivent la vie de tous les petits Morvandiaux.
Ils furent très nombreux les "Petits Paris" du
Morvan et beaucoup de ces enfants se
sont intégrés au "pays" et s'y sont installés.
Notre petit bonhomme, dans son malheur, a eu un peu plus de chance que les autres. Il fut aimé, déclaré et reconnu. Hélas, né par malchance dans le cœur d'une domestique venue des Pays-Bas, sa mère fut contrainte de le confier à l'Assistance Publique mais ne le déposa pas tel un paquet, dans un de ces horribles mais salvateurs tours d'abandon: il connaîtra son nom!
Ce nom d'ailleurs, il l'a transmis à son fils qui l'a transmis à mon père.
Ce nom, c'est le mien!
Ce billet est un hommage à mon aïeule, domestique immigrée à Paris, qui, sans doute abusée par ces messieurs de la capitale, à tous les étages des maisons dans lesquelles elle a servi, a été contrainte d'abandonner ses enfants après les avoir déposés à l'Assistance publique.
Infos sur le site du Morvandiau et images trouvées en partie sur le site Les petites mains
Tu m'as émue au plus haut point .Une belle histoire vraie que celle de ton arrière grand-père .
RépondreSupprimerEn Bourbonnais aussi ,il y avait des " petit Paris " et mon père a toujours considéré un "Petit Paris " comme son frére adoptif .Ce "Petit Paris " décédé trop jeune était mon oncle et connaissait lui aussi son nom..Dans l'ensemble , ils ont été heureux en Bourbonnais ces petits comme en Morvan .
Leur Histoire est souvent semblable à la tienne :: domestique abandonnée par le pére de l'enfant sous la pression de la famille paternelle .
Je me joins à toi, ma Cousine de Patois pour rendre Hommage à ton aïeule qui n'a pas déposé son enfant dans la rue .
Bravo Ep ' pour la narration de cette tranche de vie et ton nom est encore plus beau car ton papa aurait pu ne jamais l'avoir .
Je t'embrasse bien fort Ep"
Je sens, au travers de ton commentaire, toute l'émotion profonde que mon billet a provoquée en toi et je suis heureuse de savoir que ton oncle était un "Petit Paris".
SupprimerMerci pour tes mots chaleureux et pour ce partage de souvenirs.
J'ai, comme mon papa, été très émue le jour où nous avons découvert que notre patronyme était un matronyme, et nous en sommes plutôt fiers car comme tu le dis, cela est tout à l'honneur de notre aïeule.
Bises d'Ep'
Oublié de te dire que tes photos sont trés belles .
RépondreSupprimerMerci à toi!
SupprimerLe tableau de Gelhay, dans le bureau de l'assistance publique, me bouleverse...
Magnifique cette histoire personnelle transportée dans la diligence de l'Histoire !
RépondreSupprimerEt quelle belle documentation pour illustrer cette réalité sociale !
Passons aux choses sérieuses : est-ce que les Morvandelles sont toujours adeptes de l'eau de Bibracte ? ;o)
Merci Yanik pour cette belle expression "la diligence de l'Histoire" et pour ton chaleureux commentaire.
SupprimerEn ce qui concerne le tour de poitrine des Morvandelles, j'ignore si l'eau de la Bibracte gauloise a encore ses vertus tonifiantes mais par contre, ton propos frôle la gauloiserie.... ;o)
C'est un bel hommage Epamine ☺☺
RépondreSupprimerMerci de ton passage Cathy!
SupprimerBon dimanche et bonnes vacances!
Une belle histoire, ce sang qui coule dans tes veines ! Bravo à toi et à toute la famille. ♥
RépondreSupprimerC'est tout à fait ça, Joye: je porte cette histoire dans mes veines et ça me fascine...
SupprimerJe suis en vacances, Youpiiiiii!
Sourire d'Ep'
Hourrah ! Repos, douce guerrière !
SupprimerCette semaine, c'est en compagnie de ma fille et de mon petit-fils! Bien du bonheur! ♥
SupprimerTu as de la chance de connaître l'histoire de ton passé. Pour ma part, j'ai commencé ma généalogie il y a quelques années et au fil de mes trouvailles, je me suis rendu compte que tout ce que l'on m'avait raconté était faux. Tu imagines ma désillusion et ma rage envers ma famille qui depuis toutes ces années m'avait menti. Depuis, je suis devenu un rat des archives à la recherche de mes ancêtres.
RépondreSupprimerBises.
Je n'ai pas su tout de suite toute mon histoire et il m'a fallu user de patience et de persévérance pour que, pièce après pièce, je puisse reconstruire le puzzle de ma famille.
SupprimerCet épisode fut un des plus longs à élucider mais il en reste encore quelques-uns... La patience du généalogiste n'est pas un vain mot.
Courage Laurent, ne baisse pas les bras!
Merci de ta visite et de ton commentaire.
Sourire d'Ep'
Joli texte, émouvant plaidoyer, bel hommage à ton aïeule, tout est bien, merci !
RépondreSupprimerà Pantruche il fait beau mais si )
Merci Andiamo pour ce plébiscite amical!
SupprimerAh! Pantruche! Il y en a des choses à raconter sur les pantins de Pantin...
Sourire d'Ep'
Que ton billet est émouvant, chère Ep' ! Je connais des histoires semblables et ces femmes qui devaient se séparer de leur tout petit avaient sans doute leur cœur meurtris à jamais ... Il n'est pas besoin d'être au 19e siècle pour avoir vécu cet état de fait . Dans la petite bourgade de Vézelay dans l'Yonne où j'ai vécu une douce jeunesse, j'ai été le témoin de récits réels du moment qui relataient la vie de ces enfants " de personne" qui se retrouvaient dans les familles de paysans qui étaient rémunérés pour la garde de ces enfants. J'ai même partagé le banc de mon école avec une fillette recueillie et bien sûr , elle n'était pas la seule avec nous. Cette région en effet, était propice pour abriter tous ces" petits Paris" mais leur vie était très dure.
RépondreSupprimerEpamine tu sais trouver le chemin du cœur de chacun de nous avec tes esperluettes et je t'en remercie.
Bon dimanche et bonnes vacances. Tu mérites ce repos bien gagné.
BIZZZ de DOUCY.
En effet, à Vézelay, tu étais au cœur de la zone d'accueil des Petits Paris...
SupprimerJe suis heureuse si, cette fois encore, tu as passé un agréable moment en lisant ma petite esperluette.
Bises et sourire d'Ep'
A travers ton récit, la terrible condition des femmes qui n'étaient pas "nées", qui servaient et dont on se servait et qui ne pouvaient même pas avoir de maternité normale. Les petits étaient des accidents ... quel affreux mot !
RépondreSupprimerTon aïeul s'en est sorti et mérite l'hommage que tu lui rends. Bonnes vacances Ep'
Ta description de la situation des femmes avant "notre ère chanceuse" est des plus réalistes et tellement navrante...
SupprimerMerci pour ton message et en ce qui concerne les vacances, cette première semaine c'est...mon petit-fils et ma fille (là, c'est la sieste...) et 'est tout bonheur!
Sourire d'Ep'
Je suis émerveillée par ta façon de raconter. Et très émue qu'en plus de son côté historique très documenté, ce soit une histoire vraie.
RépondreSupprimerQuand les gens parle de leurs racines, c'est toujours intéressant. Sous ta plume c'est magnifique.
^^
Merci pour ton chaleureux commentaire et pour tes compliments, Célestine.^-^
SupprimerJ'espère que ton début de vacances se passe bien et que tu peux recharger tes batteries... Ah! Si seulement nous étions comme ces petits lapins roses à l'énergie quasi inusable...
;o) d'Ep'
Quelle très belle et douloureuse histoire tu évoques...
RépondreSupprimerJ'ai connu aussi, par chez moi, des femmes qui allaient à Paris, comme nourrices, chez des "riches", pour prêter leurs "mamelles" aux petiots qui apparemment n'avaient pas de quoi se nourrir... Ma grand-mère m'avait évoqué cette histoire.
GROS BECS Ep'
Merci Marité de partager si chaleureusement mon émotion...
SupprimerSorire d'Ep'
J'ai une grand mère qui a été nourrice sur lieu à Paris à la fin du 19ème siècle, malheureusement je n'ai pas pu discuter de cela avec elle car elle est décédée lorsque j'étais petite. Il faut savoir que pour ces personnes c'était aussi un déchirement car elles laissaient leurs propres enfants en bas âge à leur famille et ne les revoyaient parfois que 18 mois plus tard et parfois jamais car certains décèdaient étant nourris au lait de vache.La vie dans le Morvan était si rude que cela leur permettait lorsqu'elles revenaient d'embellir une maison couverte en chaume, au sol de terre battue et d'acheter des terres pour avoir un peu plus d'aisance.
RépondreSupprimerLeur travail est à l'origine de l'ascension sociale en Morvan.
Ensuite ma grand mère a élevé deux enfants de l'AP "sur place" que mon père a toujours considéré comme ses frères et soeurs à part entière et donc moi comme mes oncles et tantes.Mais ce ne fut pas le cas pour tous les enfants. Certains étaient maltraités .
La mortalité chez les petits Paris était énorme car ils partaient de la Capitale âgés de quelques jours et la plupart ne supportaient pas le voyage jusqu'au lieu de leur placement. Je suis passionnée de généalogie et je feuillette souvent les registres des communes du Morvan et c'est impressionnant de voir tous ces décès !
Oh, Mamielyne, que votre long commentaire personnel me fait plaisir et me touche!
SupprimerMerci d'avoir pris le temps de nous livrer toutes ces précisions.
En faisant mes recherches pour rédiger mon billet, j'avais pris connaissance de tout ce que vous évoquez ici et je suis contente de ne pas avoir tout dévoilé car cela me donne l'occasion de vous recevoir dans mes esperluettes.
Merci vraiment pour ces confidences chargées d'émotion et pour ce complément d'informations sur la vie de nos ancêtres.
A bientôt ici, ou ailleurs.
Bon dimanche ensoleillé.
Sourire d'Ep'