Un jour, quelqu'un déposa dans le couloir de nos vacances, de très gros sacs, d'énormes ballots (non, non, pas des abrutis, des sacs!... hihihi!).
Intriguées, la bande de cousins et cousines que nous étions (et que nous sommes toujours, d'ailleurs!), n'avaient de cesse que les susdits sacs ne s'ouvrissent (waouh! un imparfait du subjonctif... fallait le faire, hein?).
Le sac, ouvre-toi!
Et les sacs s'ouvrirent ...
et nous nous sommes retrouvés dans la caverne d'Ali-Baba!
Des kilogrammes et des kilomètres de tissu, de voile, de dentelle, de tricot, de toutes couleurs, de toutes tailles, de toutes textures, de tous motifs... Certes, tous avaient un défaut, plus ou moins visible, mais pour une seule maille filée ou manquée, pour un dessin mal marqué, pour un biais trop droit ou un droit-fil de biais, toutes ces pièces allaient au rebut...
Par un fabuleux hasard, toutes ces merveilles étaient désormais à notre disposition: nous pouvions en faire ce que nous voulions...
Grâce à ses talents de couturière, ma grand-mère eut tôt fait de couper, de tailler, d'ajuster, d'assembler les pièces de tissu et de nous offrir gilets, pulls, ponchos, capes, écharpes et bonnets, chemises de nuit, "combines" et jupons...
Et nous?
Comme ces enfants qui trouvent au grenier une malle en osier pleine de vêtements d'autrefois, de gibus de dandy, de longs gants d'élégantes, de chapeaux à plumes, de robes du soir, de souliers de satin et de cannes à pommeau, nous vivions un conte de fée...
Les longs voiles roses, blancs et bleus, à plumetis, à franges, à paillettes, nous transformèrent en princesses des mille et une nuits, en mariées de l'an II, en impératrices des neiges...
Les tissus plus sombres réapparurent sous forme de drapeaux de pirates, de capes de Zorro, de manteaux de rois...
Les grandes pièces de tissus devinrent des tentes touaregs ou des tipis au fond du verger, les rideaux de nos scènes de théâtre, les voiles de nos radeaux de fortune, les cloisons mobiles de notre cabane, les linceuls et les suaires des fantômes de notre château hanté...
Les petits coupons de tissu habillèrent de lumière, de douceur et de chaleur nos poupées mannequins (non, non, pas celle-là, mais des autres dont l'initiale n'était pas un B...) et décorèrent la splendide maison de poupée en carton fabriquée par... moi, l'aînée! Des petits édredons moelleux sur les lits tout doux, des nappes, des rideaux, un canapé et des fauteuils confortables...
Mais ce qui nous fascina sans doute le plus, nous les filles, ce furent les dentelles.
Pendant des heures, on les démêla, tous ces mètres de dentelle (ça devait sans doute faire plusieurs kilomètres, j'en suis presque certaine!), on les tria puis on les enroula sur des bouts de cartons pour les ranger soigneusement dans "notre mercerie".
Comme elles étaient belles ces dentelles! Comme elles étaient belles!
Très fines ou très larges, vieillottes ou modernes, très ringardes ou décorées de petites perles, ces blondes, ces guipures, ces festons, ces passementeries, ces franges, des rubans, ces broderies, ces dentelles de Cluny ou de Chantilly nous donnaient l'illusion d'être des fées, des princesses, des reines. On en a cousu un peu partout, on en a habillé nos poupons et nos poupées, on les a dessinées, on les a décalquées, on les a admirées...
Et j'apprends aujourd'hui, en rédigeant ce billet, que le mot "dentelle " apparut pour la première fois dans l'inventaire de la dot de
Marguerite de Valois-Angoulême, la sœur de François 1er qui fut reine de Navarre et qu'on appelait parfois Marguerite d'Alençon... comme la reine de la dentelle!
Quand je vous disais qu'on était des reines!
Dentelle de feuille (Photo Hervé)