mardi 27 mai 2014

& Quand Théophile sourit

Tout à coup, bouleversé, un vieil homme se leva tel un pantin sortant de sa boîte.
Il plongea dans la lumière du projecteur qui diffusait le diaporama et de son doigt de grand-père, voire d'arrière-grand-père, il pointa, une à une, chacune des frimousses qui venaient d'apparaître sur le tableau blanc interactif (arrière-petit-fils du tableau noir!) et énonça, presque comme une tirade:

"Gérard F. ; Joseph N. ;  Pierre G. ; Christian L. ; Jacques P. ; là, c'est moi; ici, c'est Jean B. ; là, Daniel V. ; là, c'est son frère, Guy V. ; ici, mon meilleur copain, Maurice H. ; Michel C. ; René D. ; là, l'autre Jacques, Jacques M.; ..."

Un à un, il cita les noms des trente et un copains de classe qui l'entouraient sur cette photographie de  classe de CM2, datant de 1949. Dix ou onze ans d'âge, les p'tits gars, la mèche rebelle, les genoux cagneux entre les culottes courtes et les chaussettes de laine qui piquent...



Oubliant le reste de l'auditoire, cet homme de l'âge de mon père se tourna vers moi et me lança:
"Qu'est-ce que je suis content! J'étais assis dans cette salle en 1949, là, ici, près de la fenêtre. (Il se déplaça jusqu'à l'endroit désigné!) Et je regardais les marronniers dans la cour quand Monsieur F. nous racontait ses histoires. C'est qu'il était sévère, le bonhomme!"
En lui souriant, je lui demandai :
"Vous souvenez-vous d'une poésie que vous avez apprise à cette époque?"
Sans perdre la face, le "gamin" de soixante-seize ans se plaça bien droit devant le TBI, mit sagement ses mains derrière son dos, et déclama, sans la moindre hésitation et les yeux humides d'émotion:

 Premier sourire du printemps

Tandis qu'à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.

Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.

Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.

de Théophile Gautier 

Toutes les personnes présentes dans la salle l'applaudirent spontanément.
"20 sur 20, mon gamin!" ai-je annoncé en souriant. 
Puis quittant ma chaise d'animatrice, j'ai demandé si je pouvais l'embrasser. Il m'a tendu les bras et m'a serrée très fort en pleurant...
Dans l'assemblée silencieuse, quelques larmes perlèrent au coin des yeux, des dames comme des messieurs!

36 commentaires:

  1. J'ai un an de moins que ton bonhomme, j'ai publié des photos de classe de 1949 aussi ! Mêmes gamins, mêmes fringues, de la marque "Demonfrère" je pourrais presque les identifier tous mais nous sommes près de 45 sur la photo : après la guerre surpopulation dans les classes, car beaucoupo d'école étaient hors d'usage.

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    1. Je me doutais que ce billet évoquerait pour toi des souvenirs semblables. ♥
      La marque "Demonfrère", c'est vrai ?

      Cette anecdote s'est vraiment produite dernièrement tandis que je participais à la commémoration du centenaire d'une école. Ces retrouvailles entre ce monsieur et lui-même furent très émouvantes, je t'assure!
      Bises d'Ep'

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  2. J'ai haleté autrefois sur ces œuvres perverses !

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    1. Peut-être mais aujourd'hui tu écris de très belles choses... Tes tortionnaires d'antan ont forgé ton style...

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  3. Superbes retrouvailles .En 49, je commençais d'aller à l'école .J'avais 5 ans .J'ai peu de photos de classe .Il faudra que je fouille chez mes parents .Il doit y en avoir une .Je n'ai pas le souvenir de photographe à l'école "au milieu des bouchures " chaque année.
    Par contre , chapeau à ce monsieur pour la poésie .Je serai incapable d'en réciter une .
    J'aime lire des poèmes , mais ne fait aucun effort pour les retenir .Je les apprenais trés vite , mais les oubliais aussitôt .
    Un post qui nous replonge dans les blouses grises , blouses noires et sabots .1949 , c'était vraiment encore l'aprés -guerre .
    Bises Ep' et ravie d'avoir fêté le centenaire avec toi .Bravo à ce monsieur.

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    1. Oh que oui, c'était superbe et tellement inattendu !
      Cette journée fut exceptionnelle en maints domaines mais ce qui m'a paru le plus extraordinaire, c'est que je n'ai rencontré ce jour-là que des gens heureux!
      Ne manque pas de nous montrer ta frimousse de petite élève si tu retrouves ta photo...♥

      Deux poèmes sont à jamais dans ma mémoire: "Le brouillard" de Maurice Carême (peut-être mon premier poème appris par cœur) et "Demain dès l'aube " d'Hugo.

      Pour les autres, tous ceux que j'aime, voilà 35 ans que je les écris à la plume dans un cahier recouvert de...papier peint. Tiens, faudra que je fasse un p'tit billet là-dessus...

      Bises d'Ep'

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    2. Tu la verras bien un jour la tête de la Ch'tite gâte à l'école .Mais cette photo de groupe de1950, elle existe et il faut que je fouine chez mes parents.J'en possède 2 individuelles également .
      J'ai vu que Francis parlait de tableau miroir .Vrai qu'à 16h25 , si une de mes élèves allaient au tableau jouer à la maîtresse,, j'avais l'impression de me voir et surtout de reconnaître mes expressions et mes mots .Finalement , c'était le bon temps
      Bises du jeudi

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    3. C'est encore et toujours le bon temps quand on est dans notre classe avec les gamins... c'est hors de la classe que tout se gâte pour les ch'tites gâtes et les ch'ti gars... et pour la maîtresse aussi...

      Ce que tu m'as fait rire, Nicole, chez toi, en imaginant les loulous qui lèvent le doigt en disant" Prof d'école, prof d'école!" au lieu de "Maîtresse! Maîtresse !"...

      Bises d'Ep'

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    4. Je suis partie en retraite sous ce nom là et je ne l'ai jamais mentionné évidemment .Un de mes collègues masculins avait dit cette appellation à un gamin ( pour rire ) et le Grand CM2 avait répondu: "Trop moche ce nom .Je continuerai à dire Maître "
      "PE , PE moi...moi...ce serait déjà mieux"

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    5. Oui mais "PE, PE", ça fait Pépé !... ;)

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  4. Et ici en lisant aussi, belle Épi, les larmes perlent aussitte. Brava pour ce que tu as fait.

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    1. Entre nous, en écrivant ce billet, j'ai encore versé une petite larmichette...
      Ce genre de moment, on a envie de le partager avec le monde entier...

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  5. Quelle mémoire ! Bravo Môssieur ! Je serais bien incapable de réciter quoi que ce soit de ma scolarité et encore moins de me souvenir des noms de la plupart de mes camarades de classe. Pour moi, c'est de la science-fiction.

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    1. Carrément SF ? Bigre!
      Alors tu aurais vraiment été épaté par ce monsieur que je ne connais pas du tout mais qui m'a vraiment bouleversée...
      Je suis certaines qu'au fond de toi, tu sais de beaux vers mais tu as écrit tellement de beaux trucs depuis qu'il y a un peu moins de place entre tes méninges...
      Sourire d'Ep'

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  6. Tu m'as beaucoup émue avec ce billet, Epamine réjouie...
    les photos de classe contiennent une grande nostalgie, toujours, pour celui qui se reconnaît dessus...comme si tout un pan de sa vie lui revenait soudain au visage.
    Tu veux voir la mienne?ICI

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    1. Si tu avais été là, à mes côtés, il est certain que toi aussi, tu aurais eu les yeux tout mouillés devant ce gamin de plus de soixante-dix ans...

      Au regard de ta photo de classe, je constate avec un indicible plaisir que... nous avions le même coiffeur! hihii! et que tu étais déjà fort mignonne !
      Bises d'Ep'

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    2. J'aimerais bien voir la tienne! Tu me montreras?

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    3. Je ne me souviens pas avoir vu de photos de classe de moi chez mes parents... Faudra que je demande à qui de droit si il y en a .
      Par contre, au vu des portraits de ma pomme et de Sœurette, sûr qu'on avait la coupe rase-bol avec frange et tout et tout... Tu sais comme le petit Paul, le frère de Marcel avec la casserole...!) ;)
      A tout à l'heure !

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  7. Oulalah ! Y'a tant de choses dans ton article, du vécu, de l'émotion, du passé, du présent, des mots justes si efficacement enfilés, et surtout de ce "lien social" qui de nous ferait des humains. J'ai pensé que le moment s'adressait à tes élèves... il semble que non... alors, à refaire ?! Je serais très embarrassé de devoir faire la classe avec un Tableau Blanc Interactif du jour au lendemain. Mais je conçois qu'avec une modeste maîtrise technique, l'objet ouvre à des dimensions pédagogiques nouvelles qui devraient redresser PISA (si tant est que cela ait un sens).
    Bonne fin de semaine

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    1. Vi, vi! C'est tous les beaux mots que tu dis qui ont fait pleurer mes yeux...
      Eh, non! L'auditoire était intergénérationnel: le centenaire de cette école (pas ma mienne!) a attiré de très anciens élèves, des moins chenus et des "tout lisses".

      On m'avait demandé de faire un diaporama sur l'histoire de l'établissement et j'ai réalisé quelques diapos avec des photos de classes, prises au hasard sur internet. La projection était permanente et entraient ceux qui voulaient. Le hasard a bien fait les choses puisque plusieurs personnes se sont reconnues sur le TBI au fil des diverses projections mais j'avoue que ce monsieur a été le plus émouvant...
      TBI: j'en aurai un dans ma classe à la rentrée ! Mais j'ai demandé à garder mon vieux tableau vert, ne serait-ce que par respect pour les loyaux services qu'il a rendus!
      Belle fin de semaine, Francis!

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    2. ... les loyaux services qu'il t'a rendu... et te rendra sans doute encore. Blanc, vert ou noir, le tableau est certes un lieu de récitation, mais aussi de convergence des regards, d'attentions, de corrections, d'essais.... donc d'interactions. Vert ou noir, jamais il ne tombera en panne. Parfois dans ma classe il était aussi miroir, quand en fin de journée quelques uns jouaient au maître (ou à la maîtresse)...

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    3. Retirer le tableau d'une classe, il n'y a plus rien...
      Avec deux tableaux, je ne suis pas certaine, par contre, de retenir deux fois plus l'attention de mes loulous...
      Laisser les enfants animer la classe: de purs moments de bonheur...

      (Bonnes asperges!)

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  8. Coucou Epamine, mékresse d'école lis-je dans la marge... du cahier ;-) Ah je ne sais si j'en saurais capable à son âge de réciter un poème appris des années avant... ce monsieur qui a connu culottes courtes et bas de laine...chapeau ! Merci pour chez moi Ep.... belle journée de la part de JB

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    1. Merci pour ici Jill...
      Comment faire pour participer à tes récrés?
      Sourire d'Ep'

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  9. Ah... LE MERCREDI MATIN tu postes sur l'un des tes blogs, je vois que tu en as plusieurs, me dire lequel, le prénom du mercredi proposé dans ma liste des prénoms... le 4 juin honneur à PAULA.. Je vois que tu fréquentes le blog de Claire fo... participante active à la cour de récré... ;-) Tu fais à ta guise, personnage existant ou inventé, texte, dessin, photo... merci de t'y intéresser, m'dame JB

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    1. Ce sera sur ce blog-ci, JB !
      Merci pour ta réponse. Je voulais savoir s'il fallait s'inscrire quelque part.
      Je trouve l'idée de cette récré du mercredi géniale mais l'année prochaine, ce sera plus difficile: école le mercredi matin...
      Belle fin de journée

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  10. Merci chère Epamine pour ce billet qui me ramène à l'âge de ces enfants sur la photo. J'aime ce poème que je connais bien évidemment mais j'avoue bien humblement que j'aurais été incapable de le réciter sans l'avoir "révisé " un peu... Mes enfants ont dû l'apprendre eux aussi et les souvenirs arrivent par brassées. Me retrouvant transportée dans cette période et revoyant ma maitresse d'alors et mes camarades de classe, moi aussi j'ai des poussières dans les yeux. Tout est tellement vrai que l'on pourrait croire que tu as vécu cette époque où nos blouses (bien tristes pour des enfants, mais c'était encore tout près de la guerre et du manque de tout) ne portaient pas de marque et nos galoches n'évitaient pas les engelures. Bravo pour cet épisode rétro qui ne nous a pas laissés indifférents, je peux te l'assurer.
    BIZZZ de DOUCY.

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    1. J'imagine aisément votre émotion à la lecture de mon billet... Un autre en version féminine ne tardera pas à arriver... mais celui-ci fut si imprévu et fortement vécu que j'ai voulu le partager avec vous en premier.

      A force de chercher comment c'était avant pour en parler aux jeunes, j'ai parfois l'impression d'avoir connu l'après-guerre en filigrane.
      Bises d'Ep'

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  11. Non plus besoin de s'inscrire... j'ai de tout en plateforme et plus que du OB... Ah oui, là.... en programmation alors, bref... à bientôt ici, je suis inscrite à ta news, merci Ep' !! Bises JB

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    1. Tu es OverBookée avec OverBlog si je comprends bien! ;)
      Merci pour l'info, JB!
      Bises d'Ep'

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  12. C'est extra!
    Beau tableau pour un scénario de film!
    Merci du partage

    Becsbecsbecs!!!

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    1. Oui, et le court métrage aurait pu recevoir non pas un Oscar ni les Palmes (Académiques) mais des Émaux et Camées...
      Merci!

      Bises d'Ep'

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  13. Très émouvant ce texte, et c’est drôle comme coïncidence que j’ai ressorti, sans avoir eu connaissance de ton billet, le mien sur l’école de 1940 .

    Chère &pamine, on ne se voit pas mais.....
    et il me semble être sur la même longueur d’ondes que toi malgré nos différences d’âge......

    Comme tu l’as fait pour ce monsieur de l’âge de ton père, je te demande si tu veux bien recevoir d’affectueux baisers de la part d’une J@k de l’âge presque de ta mère ….

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    1. Chère Jak,
      J'ai pensé tout comme toi quant à cette coïncidence de thème et d'époque... et comme toi je me suis dit que nous étions sur la même longueur d'ondes.
      Il y a des rencontres et des liens qui ne s'expliquent pas mais qui nous enrichissent le cœur et l'esprit...
      Et pour sûr que je veux bien t'embrasser J@k et d'autant plus que tu as presque l'âge de ma maman.
      Bises affectueuses d'Ep'

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  14. Bien bel événement surtout quand la seule ombre au tableau est lumineuse : elle est radieuse du souvenir individuel qui nous relie tous et crée cette chaleur humaine si importante.

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    1. Une ombre au tableau lumineuse... Tu es vraiment trop fort...
      J'ai vraiment aimé cet instant de partage inattendu...

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Vous êtes désormais un p'tit bout de ma vie...
Merci d'être passé(e) par ici!

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