dimanche 10 avril 2016

& La belle prim(e)


La première fois que je l'aperçus, elle était là, toute seule, face à ce beau soleil qui enflammait le ciel. Je trouvai l'image poétique car la belle, à défaut d’être violette, avait pris une délicate teinte orangée et sa silhouette ainsi colorée donnait au paysage une profondeur inattendue.

La seconde fois que je la vis, la semaine suivante, à peu près à la même heure, elle était exactement au même endroit. Immobile, elle admirait le soleil couchant du haut de son promontoire et semblait plongée dans ses vertes pensées. Je souris.

La troisième fois (promis, c'est la vérité!), l'horizon n'était pas rougeoyant mais plutôt gris perle et pourtant, ma prim' était là ! Face à l'ouest du couchant, elle scrutait la plaine environnante du haut de son observatoire et ne détourna pas plus son regard vers moi que les deux fois précédentes. Je re-souris...

La quatrième fois (oui, il y eut une quatrième fois!), je me surpris, en approchant du virage de notre rendez-vous, à me demander si elle serait là... et elle était là ! Ses comparses étaient éparpillées dans la prairie mais elle, l'héroïne de l'instant, telle une gardienne du temple (on ne peut pas dire "vestale" pour une vache laitière... sauf si c'est une génisse !), observait sans relâche la ligne d'horizon...

Semaine après semaine, je n'ai plus compté nos rencontres fortuites mais j'ai souri à chaque rendez-vous non manqué. 
Et je suis ravie que la laitière connaisse le soleil qui poudroie et l'herbe qui verdoie, la pluie qui ruisselle et le parfum des mirabelles. Tant d'autres n'auront jamais cette chance!

Je me suis dit qu'un jour, il faudrait que j'écrive un billet sur la vache sur sa collinette. Voilà, c'est fait , mais je suis fort marrie de ne point connaître le prénom de ma belle Prim'...


La même (ou une lointaine cousine!), si joliment racontée par Jules Renard, un de mes maîtres à regarder, à penser et à écrire !

"Las de chercher, on a fini par ne pas lui donner de nom. Elle s’appelle simplement « la vache » et c’est le nom qui lui va le mieux.
D’ailleurs, qu’importe, pourvu qu’elle mange !
Or, l’herbe fraîche, le foin sec, les légumes, le grain et même le pain et le sel, elle a tout à discrétion, et elle mange de tout, tout le temps, deux fois, puisqu’elle rumine.
Dès qu’elle m’a vu, elle accourt d’un petit pas léger, en sabots fendus, la peau bien tirée sur ses pattes comme un bas blanc, elle arrive certaine que j’apporte quelque chose qui se mange. Et l’admirant chaque fois, je ne peux que lui dire : « Tiens, mange ! » Mais de ce qu’elle absorbe elle fait du lait et non de la graisse. À heure fixe, elle offre son pis plein et carré.
Elle ne retient pas le lait, – il y a des vaches qui le retiennent, – généreusement, par ses quatre trayons élastiques, à peine pressés, elle vide sa fontaine. Elle ne remue ni le pied, ni la queue, mais de sa langue énorme et souple, elle s’amuse à lécher le dos de la servante.
Quoiqu’elle vive seule, l’appétit l’empêche de s’ennuyer. Il est rare qu’elle beugle de regret au souvenir vague de son dernier veau. Mais elle aime les visites, accueillante avec ses cornes relevées sur le front, et ses lèvres affriandées d’où pendent un fil d’eau et un brin d’herbe.
Les hommes, qui ne craignent rien, flattent son ventre débordant ; les femmes, étonnées qu’une si grosse bête soit si douce, ne se défient plus que de ses caresses et font des rêves de bonheur.
Elle aime que je la gratte entre les cornes. Je recule un peu, parce qu’elle s’approche de plaisir, et la bonne grosse bête se laisse faire, jusqu’à ce que j’aie mis le pied dans sa bouse."

(Histoires Naturelles - 1894)

20 commentaires:

  1. je me souviens du texte de jules Renard, le tien est charmant.

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    1. Le Renard... une valeur sûre ! Merci pour le chaleureux compliment, l'amie !

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  2. Bon nombre de ses congénères mènent une triste vie : écornées, enfermées, pressées, nourries de conserves et de pharmacie... Quand bien même on leur offrirait de la musique et des brosses à se gratter le dos dans "la stabul", jamais elles et nous ne seriont si heureux que de les voir au pré... au point même, semble-t-il à te lire que certains se fixent rendez-vous inter-espèce ! J'ai vu dernièrement un gros troupeau de laitières près de chez moi retrouver la lumière solaire et l'herbe verte... encore plus gai que la sortie des classes !
    Me voici avec un peu d'avance sur la relecture de Jules Renard ; merciiii ! Un peu différemment de Jules, j'aime beaucoup les Salers par exemple, pour leur élégance globale bien sûr, mais aussi pour leur sens aigu de la maternité qui ne leur fait délivrer leur lait qu'à leur veau, contraignant les éleveurs à la ruse.
    Bises et bon dimanche

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    1. La qualité des conditions de "détention" des animaux dont les humains se servent est inversement proportionnelle à la quantité d'argent à gagner... Dommage que les extraordinaires idées de Temple Gandin n'aient pas été imposées dans tous les lieux d'élevage du monde...

      Je mangeais déjà de moins en moins de viande dite rouge après la lecture des "Survivants"...
      Depuis que j'ai vu (seulement un extrait car je n'ai pas pu tout regarder!) l'abominable reportage sur les conditions d'élevage et d'abattage de nos protéines animales, j'aurais presque envie de faire comme les chasseurs respectueux du chamanisme: demander pardon au poulet qui est dans mon assiette.

      Voir un troupeau de meuhs caracoler dans une prairie fleurie... le bonheur !
      Comme toi et tant d'autres, j'aime la Miss Salers: elle est encore plus jolie que la vache Milka, elle est vraiment en chocolat !
      Bises d'Ep'

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  3. Au début de la lecture, je me demandais bien qui était la PRIM'
    Bel hommage que tu rends à cette Primholstein.Bien que ne rencontrant que des charolaises quand je vais chez les paysans de ma famille, comme Francis, j'adore les salers avec leurs jolies cornes
    Que la photo de ta Prim' est jolie!
    Jules Renard , je commence de le relire.Mais ce texte là, je ne le connaissais pas
    Bonne semaine de vacances.Bises, chère Ep'

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    1. J'aime bien créer du suspense et vous emporter tout loin, tout loin avant de vous faire revenir avec le sourire aux lèvres!

      J'aime infiniment Jules Renard: ses mots, comme ceux de Maurice Carême en poésie, sont simples mais dessinent dans mon esprit de jolies images.

      Comme toi et Françis, j'aime les Salers : au moins, elles, on a la preuve que ce sont des bêtes à cornes !

      Bises du soir, chère Nicole!

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  4. Ah ! je te retrouve...la plume alerte et l'humour vif et joyeux, et ta vache qui me fait penser au chocolat Milka (à cause de la couleur violette du ciel) est un personnage qui prend sa place dans ta grande et picaresque Ep 'opée de la vie. C'est chouette, c'est doux à lire, c'est comme toi.
    bisous célestes
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Mais je n’étais pas perdue ! ;)
      C'est la belle laitière qui rend ma plume primesautière...
      J'aime bien ton idée d'Ep'opée de la vie! Merci.

      Bises ép'iques ;)

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  5. Chouette texte et adorable vache .... j'adore .
    Bisous Ep et douce journée .
    Thérèse

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    1. Merci ma Thérèse pour ton enthousiasme chaleureux.
      Je t'embrasse.
      Belle nuit !

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  6. Appelle la Jacqueline ! C'est le nom que porte la Tarine dans l'excellent film "la vache", J'ai vu ce bovidé movie avec deux de mes petits enfants, nous avons adoré ! ];-D

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    1. J'hésitais entre la Jacqueline d'Algérie et la Marguerite d'Allemagne... mais comme dit Maître Renard, "la vache", c'est bien aussi !
      Le film est excellent, en effet ! La vache jour très bien son rôle ! ;)

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  7. Que de fraîcheur dans ce billet !
    Tout d'abord, j'ai cru que prim' était la naissance d'une fleurette de printemps puisque tu parles de ses semblables éparpillées dans la prairie. Je croyais qu'il s'agissait d'une primevère mais l'arrivée de ce bovidé au milieu de ton histoire m'a ramenée ..... il y a fort longtemps ..... quand dans notre petit village, nous allions en grands renforts, accompagner toutes ces laitières et leurs veaux dans la prairie car ils avaient passé plusieurs mois à l'étable pendant le long hiver.Comme le dit Francis, tout le troupeau caracolait,courait et nous montrait combien il est bon de se retrouver au grand air.
    Merci chère Epamine qui, une fois encore, me ramène à mes chers et doux souvenirs.
    BIZZZ de DOUCY.

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    1. Une vache, une primevère, une pâquerette... tout ce qu'on voit dans la prairie fait du bien à nos yeux, pas vrai ?

      Que du plaisir de vous faire plaisir en vous racontant des histoires toutes simples...
      Bises d'Ep'

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  8. Tu pourrais arriver à l'école avec ta vache comme Fernandel dans La vache et le prisonnier .
    " La Maikresse d'école et la vache" ce serait vachement bien pour tes élèves qui ne sont pas des veaux .
    Bonne semaine .Bises Chère Ep'

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    1. J'y ai déjà pensé, si je te disais... suite au film "La vache" sorti dernièrement... Une des images du film qui me plaît le plus c'est celle-ci...
      J'imagine aisément les réactions des loulous devant Miss Bovidé devant l'école... Si tu avais vu comment ils ont réagi devant mon déguisement d'Indienne pour le carnaval...
      Bises

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  9. Ah la vache!.....toujours tu as l'art de nous surprendre à la fin du récit...quitte à te mettre dans la m....

    Câlinsss!!!

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    1. Merci pour tes compliments!
      Les bouses... Quand on jouait à la raquette dans la rue qu'on voit tout en haut de la page, on redoutait le passage des troupeaux de vaches ou de moutons parce que leurs déjections rendaient notre terrain impraticable. Aujourd'hui, je me réjouis lorsque je me retrouve en voiture derrière un troupeau qui déambule sur la route... cela devient si rare !
      Bises d'Ep'

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  10. Très jolie histoire...ça pourrait s'appeler "La vache et le soleil couchant".
    Tiens, ça me fait penser à ce texte-là :
    http://filigrane1234.blogspot.fr/2015/08/poesie-bretonne.html

    Poétique aussi, mais un peu plus "coquin" ! ;-)

    Bonnes vacances de printemps...

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    1. Merci pour tes mots gentils!
      Le texte que tu présentes est en effet coquin mais la chute est très bien amenée... Aaah, les vaches bretonnes! ;)

      Bises d'Ep'

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