mercredi 27 février 2013

& Les commodités de la conversation

Côté jardin, une sexagénaire bientôt "septu", 
emmitouflée dans son manteau d'hiver, 
les lunettes sur le bout du nez 
et la mise en pli du mercredi 
quelque peu alourdie 
par une journée de neige...


Côté cour, une jeune adulte
 (sans doute la petite-fille de la sexa-septu!),
 maquillée sans excès, 
les cheveux longs lâchés sur les épaules, 
petit blouson d'hiver à la mode, 
énorme écharpe autour du cou,
 jeans et bottines.

Au centre, une jeune adulte 
moins jeune que la précédente 
mais assez jeune cependant
pour être l'autre petite-fille de la mémé à la mise en pli...
C'est elle qui paie les courses!

Nous sommes dans un supermarché, à la caisse.
La petite mémé et la grande gamine ont rempli le caddie au bout du tapis.
"Les pommes et le lait, c'est pour toi, Mamie! (J'avais raison-euh!). Tout ce qui est de ce côté du caddie, c'est pour toi. Pour Juju et moi, y'a que les trucs-là, de ce côté!"

Et c'est là que commence l'intrigue! Une vraie pièce classique : unité de temps, de lieu et d'action...

Tandis que Juju attend pour récupérer sa carte bancaire alors que la caissière se démène avec une machine récalcitrante, j'observe les deux protagonistes de la scène... 
Madame Mise en Pli vérifie, ligne après ligne, si le contenu du caddie correspond bien à ce qui est écrit sur le tout petit bout de papier et réajuste ses lunettes pour valider les prix.
Sitôt le rangement terminé, Miss Grosse Echarpe s'empresse de sortir son téléphone portable et se met à tapoter moult messages. 

Mamie et petite-fille ne sont plus du tout connectées par les courses... 

Et pourtant ! Toutes deux absorbées par leur activité plus que personnalisée, les yeux rivés sur leur papier ou clavier, elles discutent... Vi, vi! je vous promets.

D'un côté du caddie, la mamie explique, au fur et à mesure qu'elle valide ses courses et ce, sans lever une seule fois les yeux vers sa petite-fille, que le lait est moins cher ici qu'ailleurs, que les pommes sont bien plus belles que la semaine dernière, qu'elle espère que Minouminou aimera ces nouvelles croquettes...

A l'autre extrémité du caddie, dans une position quasi-symétrique, en contre-jour sur la grande baie vitrée du magasin, la petite-fille répond à sa grand-mère. Tout en continuant à taper sur les touches de son portable, sans lever une seule fois les yeux vers son aïeule, la jeune fille dit qu'elles l'avaient prévenue que c’était pas cher ici, qu'elle est contente que les pommes lui plaisent et que Minouminou n'est pas un chat difficile...

Juju a récupéré sa carte bancaire, salue la caissière, empoigne le caddie. Mamie et petite-fille la suivent, toujours sans lever les yeux... (Enfin, surtout Miss Echarpe !). 
Les trois personnages sortent.

Fin de la scène.

J'aurai longtemps à l'esprit l'image de ces deux personnes qui, sans se regarder une seule fois, ont réussi à parler de lait, de pommes et de Minouminou, de part et d'autre d'un caddie...

A l'époque de mon pote Jean-Bapt., plus connu sous le nom de Molière, les précieux, autrement dit les snobinards du XVIIème siècle, parlaient des "commodités de la conversation" lorsqu'ils parlaient des chaises.
Au XXIème siècle, les commodités de la conversation, ce sont les caddies !

 

24 commentaires:

  1. Très intéressant, ce que tu nous as écrit là. Pourquoi pas un scénario pour un film court?

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    1. Contente de te revoir, ici, Richard et merci pour les compliments!

      Si l'idée te tente, ne te gêne pas et envoie-moi un pourcentage sur les droits d'auteur de "notre" futur court-métrage...

      Bonne journée!

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  2. Jolie mise en page et comme d'hab' excellent récit.

    Une autre scène, très fréquente et du même type qui fait s'interroger sur la nature des relations humaines : une poussette avec bébé et maman ou papa qui pousse, un téléphone portable. La poussette avance, le bébé regarde sa mère/son père parler, la/le pilote de poussette ne regarde pas l'enfant, ne parle pas à l'enfant, elle/il vit une autre vie, ailleurs, via le portable. Une autre communication ...

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    1. Merci tout plein pour les compliments.

      Comme toi, certaines situations me "dérangent" et j'ai parfois du mal à ne pas le dire.
      Nous vivons une révolution humaine sans nous en rendre vraiment compte mais la machine est en marche...

      Enfant, et même adolescente, je n'avais pas le téléphone à la maison et aujourd'hui, une mère d'élève vient à l'école, sur rendez-vous ou pas, avec son oreillette-micro fichée dans le pavillon...

      Comment seront les communications humaines dans quelques années ?
      A nous, ceux qui sont conscients de l'importance du "couarail en IRL", de pérenniser les bonnes habitudes!

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  3. Et d'ailleurs, quand on comprend mal, ne demande-t-on pas : "qu'est-ce caddie ?" :~)

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    1. Comment faire pour ne pas aimer tes commentaires ? Tant-Bourriquet a-t-il le même humour que son papounet?
      ;o)

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  4. Intéressant...il semble que la communication, de nos jours, ne passe plus par les expressions du visage...

    Téléphone ou textos : on ne se voit pas...
    ordinateur et e-mails ou blogs : non plus...
    Alors, on s'habitue...
    Un caddie entre les deux ?
    "Faut pas pousser", dirons certains... :-)

    Mais parfois, y'a...un continent...et là, on est bien content de pouvoir communiquer quand même !

    Ceci dit, j'ai à peu près ton âge, Epamin ' et quitte à passer pour une mamie "mise en pli", j'ai un peu la nostalgie "des mots qu'on dit avec les yeux"... :-)

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    1. Merci!

      Pour garder les expressions du visage, on a inventé les smileys, les emoticones...

      Comme toi qui évoques les distances qui nous séparent parfois de ceux qu'on aime, j'apprécie les bienfaits des technologies modernes et je m'en sers (la preuve, je suis blogueuse!).
      Je constate juste par ce billet que parler avec quelqu'un qui est loin semble désormais plus simple que de parler à son voisin et je regrette que des éléments parasites viennent perturber une conversation en chair et en os...

      Au fait, vive les mamies mises en pli !

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  5. Très bon billet ! On s'y croirait !Toutefois, il me semble que les conversations soient de plus en plus difficiles avec ceux qui ont le portable vissé à l'oreille.... ou bien calé dans le creux de la main. Il est d'ailleurs très amusant de croiser ou de regarder tous ces gens qui font leurs courses sans même savoir ce qu'ils achètent contrairement à la mamie.Ils sont tellement occupés à écouter.
    Ce qu'il y a de sûr, c'est que les courses permettent de joindre un mari ou une épouse pour le choix d'un légume ou d'un fromage... Comment pouvions-nous faire avant le portable ???
    Septu.je suis mais j'avoue que je préfère la bonne conversation, face à face. Quand même vive le portable ... avec modération.
    BIZZZ de DOUCY.

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    1. Merci, Doucy!

      Jadis, les belles dames avaient un éventail, un réticule, un mouchoir brodé à la main; les messieurs portaient canne et gants...
      A chaque époque ses accessoires...

      Comme tout ce qui lie l'humain à la technologie, il faut être vigilant et garder son esprit critique.

      Grosses bises d'Ep'

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  6. digne d'un sketche!
    Poquelin, c'est aussi ton pote?

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    1. Merci pour le compliment!
      Vu vos commentaires, je me demande si je ne vais pas me mettre sérieusement à la rédaction de scénarii...

      Oui, oui, Poquelin est un copain depuis ma 6ème. Cette année, dans notre projet d'école, on fait du théâtre...Alors j'ai invité Jean-Bapt en classe et on joue beaucoup avec lui. Qu'est-ce qu'on rigole...

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  7. Rohhh ! Belle observation !
    Un jour viendra où, avant la naissance, on demandera à la maman si l'on greffe un portable ou non à l'enfant !!!
    Un appendice auriculaire qui a le don de m'énervouiller...
    GROS BECS Ep'

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    1. Merci, Marité...

      Que jamais je ne voie cette époque où l'on implantera des "trucs" dans l'humain pour d'autres raisons que soulager ses maux !

      (J'aime quand tu dis "Rohhh!)

      Bises d'Ep'

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  8. Super bien vue cette scène de la vie courante !
    Chez nous ça soliloque fort aussi et je suis certaine que ça continue la nuit sous les oreillers. Ce besoin d'être constamment connecté est étrange mais bien présent partout !
    Molière tweeterait-il que "voilà pourquoi votre fille est muette" ???

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    1. Merci!
      En effet, cette "coutume" diurne et sans doute nocturne, comme tu le dis si bien, est étrange.
      Les sociologues doivent certainement connaître les motivations profondes de ce besoin de communication à distance mais j'avoue que parfois, je me sens has been car moi, j'aime encore énormément beaucoup tout plein les communications d'antan...

      Judicieux et facétieux clin d’œil à notre pote Jean-Bapt. Merci !

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  9. Oui il y avait un âne qui s'appelait "Cadichon" chez la née Rostopchine... Tu t'en souviens toi qui a bonne mémoire.

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    1. EX-CEL-LENT!
      Je suis hilare devant mon écran, et c'est un euphémisme ! Comme quoi, la culture, ça sert même quand on fait les courses...

      Dis-donc, en matière de bonne mémoire, la tienne est encore plus exceptionnelle que la mienne car, avec tout le respect que je dois à ton grand âge, tu as lu la Comtesse bien bien longtemps avant moi... ;o)

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  10. Bonsoir Epamine,
    Tu as gagné l'Oscar du meilleur scénario des oreillettes.

    Bisous tout doux et MERCI pour tes mots.

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    1. Merci tout plein... ;o)

      Mes mots sont sincères, je t'assure...

      Bises d'Ep'

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  11. On peut aussi parler de Boronali ?

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    1. Tout à fait!
      Nous avions déjà évoqué tous les deux cet artiste asinien dans un précédent billet ;o)


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  12. Je suis d'accord avec Richard, un bon scénario pour un court métrage.

    Bises

    Roger

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    1. Merci tout plein, mon cher Roger, pour les gentils mots et pour le petit détour par mes esperluettes. Tu sais que ta visite me fait toujours plaisir...

      Grosses bises d'Ep'

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Vous êtes désormais un p'tit bout de ma vie...
Merci d'être passé(e) par ici!

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